Quartier Namur-Hippodrome et crise du logement

Au cours des prochains mois, alors que sévit une grave crise du logement, d’importantes décisions seront prises quant à l’avenir du quartier Namur-Hippodrome, dont le développement aura un effet majeur sur l’offre de nouveaux logements à Montréal. Ce quartier, qui comprend l’ancien hippodrome Blue Bonnets, est en partie de propriété publique, et la Ville de Montréal souhaite y construire un écoquartier composé de 12 500 logements, dont 6000 sur le site de Blue Bonnets. Il offre ainsi la possibilité d’y développer des logements qui profiteront aux Montréalais et Montréalaises à faibles et modestes revenus, qui sont les premières victimes de la crise. Or, le 29 mai dernier, la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec ont annoncé qu’ils confiaient la planification de ce secteur à un comité largement dominé par des intérêts privés, dont les réalisations des dernières années ont davantage contribué à la crise du logement qu’à offrir des solutions, ce qui fait craindre pour la suite des choses.

Le Groupe d’accélération pour l’optimisation du projet de l’hippodrome (GALOPH) est en effet composé de 15 membres dont plusieurs sont des chefs de file de l’industrie immobilière et financière, à laquelle on doit une part importante des imposants et lucratifs projets résidentiels qui ont ou qui sont en voie de transformer le centre-ville, le Centre-Sud, le Sud-Ouest ainsi que le secteur Griffintown de Montréal.

On y trouve des représentants des fonds d’investissement Claridge et Ivanhoé-Cambridge (CDPQ) et du Fonds de solidarité FTQ, des dirigeants des entreprises de promotion immobilière Prével, Brocolini et Quo Vadis de même que du Mouvement Desjardins. Dans une moindre mesure, le comité réunit également des représentants d’organismes publics et communautaires. Il a pour mission d’élaborer, au cours des prochains mois, un plan d’affaires « équilibré et rendant possible l’atteinte d’objectifs sociaux, tout en demeurant pertinent pour des investisseurs ».

La création de ce comité survient après que l’industrie immobilière a boycotté un appel d’offres sur le site de l’ancien hippodrome pour un projet comprenant 60 % de logements abordables, en laissant entendre que les exigences trop strictes de la Ville en matière d’abordabilité nuisaient au développement du secteur.

Comme l’a expliqué Pierre Boivin, président et chef de la direction du fonds d’investissement Claridge et coprésident du GALOPH : « Le modèle précédent mis en oeuvre par l’administration de la mairesse Valérie Plante était impossible à réaliser pour les promoteurs, car ceux-ci ne pouvaient pas en tirer de profits. À cause des prix courants, des coûts de construction et du cadre réglementaire des logements subventionnés, ce modèle économique ne pouvait pas fonctionner. »

Il faut donc en conclure que le développement du quartier Namur-Hippodrome imaginé par le GALOPH devra désormais faire plus de place aux profits et moins au logement abordable, qui leur est par nature moins favorable. En l’absence d’un financement public important (provincial et fédéral surtout) qui permettrait de fournir une véritable solution de rechange au « tout au privé », les acteurs publics et communautaires réunis autour de la table auront peu de chances d’y changer quoi que ce soit, aussi bien intentionnés soient-ils. Ils devront probablement, et une fois de plus, se contenter des restes, des parcelles sur lesquelles l’industrie financière et immobilière considérera possible de construire du logement abordable sans que cela affecte son modèle d’affaires. Comme ce fut le cas partout où ce modèle a été implanté depuis près de 20 ans, les besoins sociaux en matière de logement risquent fort de passer au second plan.

Avec le secteur Bridge-Bonaventure, le quartier Namur-Hippodrome est l’un des derniers grands sites à développer au coeur de la ville. L’administration municipale est certes dans une position difficile, car elle subit de fortes pressions de la part des lobbies de l’immobilier et du gouvernement provincial, qui a menacé de reprendre le site si le projet n’avance pas plus rapidement. Par contre, on ne peut que déplorer le fait qu’elle ait, de gré ou de force, renoncé à y réaliser un projet plus ambitieux et susceptible de répondre aux problèmes causés par la crise du logement. En ouvrant la porte à de flagrants conflits d’intérêts — les membres du GALOPH pourraient bénéficier directement du plan qu’ils proposeront —, la création de ce comité est non seulement une invitation au loup à entrer dans la bergerie, mais aussi à en assurer la gestion.

Article du Devoir signé par Chloé Beaulieu, Louis Gaudreau, Luise Hellwig, Jason Prince et Eric Shragge, membres du Comité logement de Prenons la Ville. (Quotidien Le Devoir, Section Idées, 29 juillet 2023.)

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/795355/montreal-quartier-namur-hippodrome-et-crise-du-logement

Published by Coalition Prenons la Ville!

Prenons la ville est une coalition non-partisane rassemblant des activistes et militant-es de nombreuses organisations montréalaises en lutte pour une ville plus verte et socialement juste.

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